Djemila Benhabib - Ma vie à contre-Coran
"La tolerance devient de la lacheté quand elle vous fait renoncer à vos convictions"
> >>
> >> Lettre lue au Palais du Luxembourg, le vendredi 13
> >> novembre 2009, lors de la journée "Femmes debout",
> >> organisée par Femmes Solidaires et la Ligue du Droit
> >> International des Femmes
MISSION PARLEMENTAIRE SUR LE VOILE INTEGRAL
> >>
> >> Lundi 30 novembre 2009, par Djemila Benhabib, auteure de
> >>
> >> /Ma vie à contre-Coran./
> >>
> >>
> >> Mesdames les sénatrices,
> >> *Mesdames les présidentes,*
> >>
> >>
> >> *Mesdames et messieurs les dignitaires,*
> >>
> >>
> >> Chers amis,
> >>
> >>
> >> Merci mille fois de ce grand honneur que vous me faites,
> >> aujourd'hui, de me consacrer parmi les Femmes debout et
> >> de permettre à ma voix, celle d'une femme de culture
> >> musulmane féministe et laïque de résonner dans cette
> >> prestigieuse institution de la République. Merci à vous,
> >> mes amies de Femmes solidaires et de la Ligue du droit
> >> international des femmes pour votre travail acharné,
> >> permanent et indispensable que ce soit dans les
> >> quartiers, auprès des femmes victimes de violences et
> >> discriminations, des sans papiers ou encore au sein des
> >> politiques et des instances onusiennes. C'est dire que
> >> c'est ici, localement que prend racine le travail pour
> >> les droits des femmes pour se répercuter à l'échelle
> >> internationale. C'est dire aussi que la Marche des
> >> femmes pour la liberté et l'égalité est une et
> >> indivisible. Lorsqu'une femme souffre dans un quelconque
> >> endroit de la planète, c'est notre affaire à toutes et à
> >> tous. Merci de nous faire sentir de mille façons que
> >> nous sommes les maillons d'une même chaîne.
> >>
> >>
> >> Voilà encore quelques années, je n'aurais jamais imaginé
> >> que ma vie de femme, que ma vie de militante serait si
> >> intimement liée au féminisme et à la laïcité.
> >>
> >>
> >> Je vous surprendrai peut-être en vous avouant que je ne
> >> suis pas devenue féministe en tournant les pages
> >> du /Deuxième Sexe/, ni en me plongeant dans ce
> >> magnifique roman d'Aragon /Les Cloches de Bâle/, où il
> >> était question entre autres de Clara Zetkin et de Rosa
> >> Luxembourg, deux figures de proue du féminisme et de la
> >> paix dans le monde.
> >>
> >>
> >> Je ne suis pas devenue laïque en m'abreuvant de Spinoza,
> >> de Ibn Al-Arabi, de Descartes, de Ibn Khaldoun, ou de
> >> Voltaire, mon maître. Absolument pas.
> >>
> >>
> >> J'aurais pu tourner mon regard ailleurs pour me perdre
> >> dans cette enfance si heureuse que j'ai eue dans une
> >> famille généreuse, cultivée, ouverte sur le monde et sur
> >> les autres, profondément engagée pour la démocratie et
> >> la justice sociale. J'aurais pu m'égarer dans la beauté
> >> de cette ville qu'est Oran où il faisait si bon vivre au
> >> bord de la mer. Cette ville qui a propulsé la carrière
> >> littéraire d'Albert Camus, avec son célèbre roman /La
> >> peste/, jusqu'au Nobel de littérature. J'aurais pu ne
> >> rien voir, ne rien entendre des brimades, du mépris, des
> >> humiliations et des violences qu'on déversait sur les
> >> femmes. J'ai choisi de voir et d'écouter d'abord avec
> >> mes yeux et mes oreilles d'enfant. Plus tard, j'ai
> >> choisi de dire les aspirations de toutes ces femmes qui
> >> ont marqué ma vie pour que plus jamais, plus aucune
> >> femme dans le monde, n'ait honte d'être femme.
> >>
> >>
> >> Pour vous dire vrai, à l'enfance et surtout à
> >> l'adolescence, je n'ai jamais rêvé de mariage, de prince
> >> charmant, de robe longue, de grande maison, d'enfants et
> >> de famille. Les quelques mariages auxquels j'avais
> >> assisté, en Algérie, me faisaient sentir que la femme
> >> était un objet bien plus qu'un sujet. Inutile de vous
> >> préciser que ma perspective était ultraminoritaire, car
> >> les femmes sont formatées à devenir des épouses puis des
> >> mères dès l'enfance. Je devais avoir, quoi, cinq, six,
> >> peut-être sept ans tout au plus, lorsqu'on me somma de
> >> rejoindre ma grand-mère dans la cuisine, car ma place
> >> naturelle était à mi-distance entre les fourneaux et la
> >> buanderie, de façon à pouvoir faire éclater mes talents
> >> de cuisinière et de ménagère le moment venu.
> >>
> >>
> >> En 1984, l'Algérie adopte un code de la famille inspiré
> >> de la charia islamique. J'ai 12 ans à cette époque.
> >> Brièvement, ce code exige de l'épouse d'obéir à son mari
> >> et à ses beaux-parents, permet la répudiation, la
> >> polygamie, destitue la femme de son autorité parentale,
> >> permet à l'époux de corriger sa femme et en matière
> >> d'héritage comme de témoignage, l'inégalité est érigée
> >> en système puisque la voix de deux femmes équivaut à
> >> celle d'un homme tout comme les parts d'héritage.
> >>
> >>
> >> Question : L'Algérie est-elle devenue musulmane en 1984 ?
> >>
> >>
> >> Réponse : Je vous la donnerai pendant le débat tout à
> >> l'heure si vous le souhaitez.
> >>
> >>
> >> Pour ce qui est de la laïcité, j'ai compris sa nécessité
> >> lorsque, au tout début des années 1990, le Front
> >> islamique du salut (FIS) a mis à genoux mon pays
> >> l'Algérie par le feu et par le sang en assassinant des
> >> milliers d'Algériens. Aujourd'hui, on est forcé de
> >> constater que les choses n'ont pas tellement changé.
> >>
> >>
> >> Trop de femmes dans le monde se font encore humilier,
> >> battre, violenter, répudier, assassiner, brûler,
> >> fouetter et lapider. Au nom de quoi ? De la religion, de
> >> l'islam en l'occurrence et de son instrumentalisation.
> >> Pour refuser un mariage arrangé, le port du voile
> >> islamique ou encore pour avoir demandé le divorce, porté
> >> un pantalon, conduit une voiture et même avoir franchi
> >> le seuil de la porte sans la permission du mâle, des
> >> femmes, tant de femmes subissent la barbarie dans leur
> >> chair. Je pense en particulier à nos sours iraniennes
> >> qui ont défilé dans les rues de Téhéran pour faire
> >> trembler l'un des pires dictateurs au monde :
> >> Ahmadinejad. Je pense à *Neda*, cette jeune Iranienne
> >> assassinée à l'âge de 26 ans. Nous avons tous vu cette
> >> image de Neda gisant sur le sol, le sang dégoulinant de
> >> sa bouche. Je pense à *Nojoud Ali*, cette petite
> >> Yéménite de 10 ans, qui a été mariée de force à un homme
> >> qui a trois fois son âge et qui s'est battue pour
> >> obtenir le droit de divorcer. et qui l'a obtenu. Je
> >> pense à*Loubna Al-Hussein* qui a fait trembler le
> >> gouvernement de Khartoum l'été dernier à cause de sa
> >> tenue vestimentaire.
> >>
> >>
> >> La pire condition féminine dans le globe, c'est celle
> >> que vivent les femmes dans les pays musulmans. C'est un
> >> fait et nous devons le reconnaître. C'est cela notre
> >> première solidarité à l'égard de toutes celles qui
> >> défient les pires régimes tyranniques au monde. Qui
> >> oserait dire le contraire ? Qui oserait prétendre
> >> l'inverse ? Les islamistes et leurs complices ?
> >> Certainement.mais pas seulement.
> >>
> >>
> >> *Il y a aussi ce courant de pensée relativiste qui
> >> prétend qu'au nom des cultures et des traditions nous
> >> devons accepter la régression, qui confine l'autre dans
> >> un statut de victime perpétuelle et nous culpabilise
> >> pour nos choix de société en nous traitant de racistes
> >> et d'islamophobes lorsque nous défendons l'égalité des
> >> sexes et la laïcité. C'est cette même gauche qui ouvre
> >> les bras à Tarik Ramadan pour se pavaner de ville en
> >> ville, de plateau de TV en plateau de TV et cracher sur
> >> les valeurs de la République.*
> >>
> >>
> >> Sachez qu'il n'y a rien dans ma culture qui me
> >> prédestine à être éclipsée sous un linceul, emblème
> >> ostentatoire de différence. Rien qui me prédétermine à
> >> accepter le triomphe de l'idiot, du sot et du lâche,
> >> surtout si on érige le médiocre en juge. Rien qui
> >> prépare mon sexe à être charcuté sans que ma chair en
> >> suffoque. Rien qui me prédestine à apprivoiser le fouet
> >> ou l'aiguillon. Rien qui me voue à répudier la beauté et
> >> le plaisir. Rien qui me prédispose à recevoir la
> >> froideur de la lame rouillée sur ma gorge. Et si c'était
> >> le cas, je renierais sans remords ni regret le ventre de
> >> ma mère, la caresse de mon père et le soleil qui m'a vu
> >> grandir.
> >>
> >>
> >> L'islamisme politique n'est pas l'expression d'une
> >> spécificité culturelle, comme on prétend ça et là. C'est
> >> une affaire politique, une menace collective qui
> >> s'attaque au fondement même de la démocratie en faisant
> >> la promotion d'une idéologie violente, sexiste,
> >> misogyne, raciste et homophobe.
> >>
> >>
> >> Nous avons vu de quelle façon les mouvements islamistes,
> >> avec la complicité, la lâcheté et le soutien de certains
> >> courants de gauche cautionnent la régression profonde
> >> qui s'est installée au cour même de nos villes. Au
> >> Canada, nous avons tout de même failli avoir les
> >> tribunaux islamiques. En Grande-Bretagne c'est déjà la
> >> norme dans plusieurs communautés. D'un bout à l'autre de
> >> la planète, le port du voile islamique se répand et se
> >> banalise, il devient même une alternative acceptable aux
> >> yeux de certains car c'est tout de même mieux que la burqa
> >> !
> >>
> >>
> >> Que dire de la démission des démocraties occidentales
> >> sur des enjeux primordiaux à la base du vivre-ensemble
> >> et de la citoyenneté tels que la défense de l'école
> >> publique, des services publics et de la neutralité de
> >> l'État ?
> >>
> >>
> >> Que dire des reculs en matière d'accessibilité à
> >> l'avortement ici même en France ?
> >>
> >>
> >> Tout ça pour dire qu'il est toujours possible de faire
> >> avancer les sociétés grâce à notre courage, notre
> >> détermination et à notre audace. Je ne vous dis pas que
> >> ce sont là des choix faciles. Loin de là. Les chemins de
> >> la liberté sont toujours des chemins escarpés. Ce sont
> >> les seuls chemins de l'émancipation humaine, je n'en
> >> connais pas d'autres.
> >>
> >>
> >> Cette merveilleuse page d'histoire, de NOTRE histoire,
> >> nous enseigne que subir n'est pas se soumettre. Car
> >> par-delà les injustices et les humiliations, il y a
> >> aussi les résistances. Résister, c'est se donner le
> >> droit de choisir sa destinée. C'est cela pour moi le
> >> féminisme. Une destinée non pas individuelle, mais
> >> collective pour la dignité de TOUTES les femmes. C'est
> >> ainsi que j'ai donné un sens à ma vie en liant mon
> >> destin de femme à tous ceux qui rêvent d'égalité et de
> >> laïcité comme fondement même de la démocratie.
> >> L'histoire regorge d'exemples de religions qui débordent
> >> de la sphère privée pour envahir la sphère publique et
> >> devenir la loi. Dans ce contexte, les femmes sont les
> >> premières perdantes. Pas seulement. La vie, dans ses
> >> multiples dimensions, devient soudainement sclérosée
> >> lorsque la loi de Dieu se mêle à la loi des hommes pour
> >> organiser les moindres faits et gestes de tous. Il n'y a
> >> plus de place pour les avancées scientifiques, la
> >> littérature, le théâtre, la musique, la danse, la
> >> peinture, le cinéma, bref la vie tout simplement. Seuls
> >> la régression et les interdits se multiplient. C'est
> >> d'ailleurs pour ça que j'ai une aversion profonde à
> >> l'égard des intégrismes quels qu'ils soient, car je suis
> >> une amoureuse de la vie.
> >>
> >>
> >> Rappelez-vous une chose : lorsque la religion régit la
> >> vie de la cité, nous ne sommes plus dans l'espace du
> >> possible, nous ne sommes plus dans le référentiel des
> >> doutes, nous ne sommes plus dans le repère de la Raison
> >> et de la rationalité si chères aux Lumières. Séparer
> >> l'espace public de l'espace privé en réaffirmant la
> >> neutralité de l'État me semble indispensable, car seule
> >> la laïcité permet de se doter d'un espace commun,
> >> appelons-le un référentiel citoyen, loin de toutes
> >> croyances et de toutes les incroyances, pour prendre en
> >> main la destinée de la cité. Avant de conclure,
> >> permettez-moi de partager avec vous une lettre destinée
> >> à l'un de vos élus.
> >>
> >>
> >> J'ai longuement hésité avant de vous écrire. Peut-être,
> >> par peur d'être perçue comme celle venue d'ailleurs qui
> >> fait indélicatement irruption dans les « affaires
> >> françaises ». Au diable les convenances, je n'ai jamais
> >> été douée pour la bienséance surtout lorsqu'elle est au
> >> service des plus forts, des plus puissants et des plus
> >> arrogants. Puis, s'il avait fallu que je vive en
> >> fonction du regard des autres, je n'aurais rien fait de
> >> ma vie ou si peu. Lorsqu'il s'agit des droits des
> >> femmes, nulle convenance ne doit primer sur l'essentiel.
> >> L'essentiel étant : la liberté, l'égalité et
> >> l'émancipation des femmes. J'entends encore des copines
> >> françaises me dirent avec insistance : parle-lui,
> >> dis-lui, écris-lui. Étrangement, leurs propos me
> >> rappellent le titre de ce magnifique film
> >> d'Almodovar /Parle avec elle/ où dès les premiers
> >> instants, le rideau se lève furtivement, pendant
> >> quelques secondes, sur un spectacle de danse, mettant en
> >> scène le corps d'une femme, celui de Pina Bausch. Elle
> >> qui exprimait si bien dans ses chorégraphies crûment la
> >> violence exercée à l'encontre des femmes.
> >>
> >>
> >> Monsieur Gérin, c'est à vous que je m'adresse, je
> >> voudrais vous parler, vous dire la peur que j'ai connu
> >> le 25 mars 1994 alors que j'habitais à Oran, en Algérie
> >> et que le Groupe islamique armé (GIA) avait ordonné aux
> >> femmes de mon pays le port du voile islamique. Ce
> >> jour-là, j'ai marché la tête nue ainsi que des millions
> >> d'autres Algériennes. Nous avons défié la mort. Nous
> >> avons joué à cache-cache avec les sanguinaires du GIA et
> >> le souvenir de Katia Bengana, une jeune lycéenne âgée de
> >> 17 ans assassinée le 28 février 1994 à la sortie de son
> >> lycée planait sur nos têtes nues. Il y a des événements
> >> fondateurs dans une vie et qui donnent une direction
> >> particulière au destin de tout un chacun. Celui-là, en
> >> est un pour moi. Depuis ce jour-là, j'ai une aversion
> >> profonde pour tout ce qui est hidjab, voile, burqa,
> >> niqab, tchador, jilbab, khimar et compagnie. Or,
> >> aujourd'hui vous êtes à la tête d'une commission
> >> parlementaire chargée de se pencher sur le port du voile
> >> intégral en France.
> >>
> >>
> >> En mars dernier, je publiais au Québec, un livre
> >> intitulé /Ma vie à contre-Coran/ : une femme témoigne
> >> sur les islamistes. Dès les premières phrases, je
> >> donnais le ton de ce qu'est devenue ma vie en termes
> >> d'engagements politiques en écrivant ceci : « J'ai vécu
> >> les prémisses d'une dictature islamiste. C'était au
> >> début des années 1990. Je n'avais pas encore 18 ans.
> >> J'étais coupable d'être femme, féministe et laïque. » Je
> >> dois vous avouer que je ne suis pas féministe et laïque
> >> par vocation, je le suis par nécessité, par la force des
> >> choses, par ces souffrances qui imprègnent mon corps car
> >> je ne peux me résoudre à voir l'islamisme politique
> >> gagner du terrain ici même et partout dans le monde. Je
> >> suis devenue féministe et laïque à force de voir autour
> >> de moi des femmes souffrir en silence derrière des
> >> portes closes pour cacher leur sexe et leur douleur,
> >> pour étouffer leurs désirs et taire leurs rêves.
> >>
> >>
> >> Il fut un temps où on s'interrogeait en France sur le
> >> port du voile islamique à l'école. Aujourd'hui, il est
> >> question de voile intégral. Au lieu d'élargir la portée
> >> de la loi de 2004 aux établissements universitaires,
> >> nous débattons sur la possibilité de laisser déambuler
> >> dans nos rues des cercueils. Est-ce normal ? Demain,
> >> peut-être c'est la polygamie qui sera à l'ordre du jour.
> >> Ne riez pas. Cela s'est produit au Canada et il a fallu
> >> que les cours (de justice) s'en mêlent. Car après tout
> >> la culture à bon dos lorsqu'il s'agit d'opprimer les
> >> femmes. Ironie du sort, j'ai constaté dans plusieurs
> >> quartiers que les jupes se rallongent et disparaissent
> >> peu à peu. La palette des couleurs se réduit. Il est
> >> devenu banal de camoufler son corps derrière un voile et
> >> porter une jupe, un acte de résistance. C'est tout de
> >> même une banlieue française qui est le théâtre du
> >> film /La Journée de la jupe./ Alors que dans les rues de
> >> Téhéran et de Khartoum, les femmes se découvrent de plus
> >> en plus, au péril de leur vie, dans les territoires
> >> perdus de la République française, le voile est devenu
> >> la norme. Que se passe-t-il ? La France est-elle devenue
> >> malade ?
> >>
> >>
> >> Le voile islamique est souvent présenté comme faisant
> >> partie de « l'identité collective musulmane ». Or, il
> >> n'en est rien. Il est l'emblème de l'intégrisme musulman
> >> partout dans le monde. S'il a une connotation
> >> particulière, elle est plutôt politique surtout avec
> >> l'avènement de la révolution islamique en Iran en 1979.
> >> Que l'on ne s'y trompe pas, le voile islamique cache la
> >> peur des femmes, de leur corps, de leur liberté et de
> >> leur sexualité.
> >>
> >>
> >> Pire encore, la perversion est poussée à son paroxysme
> >> en voilant des enfants de moins de cinq ans. Il y a
> >> quelques temps, j'essayais de me rappeler à quel moment
> >> précisément, en Algérie, j'ai vu apparaître ce voile
> >> dans les salles de classe. Pendant mon enfance et
> >> jusqu'à mon entrée au lycée, c'est-à-dire en 1987, le
> >> port du voile islamique était marginal autour de moi. À
> >> l'école primaire, personne ne portait le hidjab, ni
> >> parmi les enseignants, ni surtout parmi les élèves.
> >>
> >>
> >> Voilà 12 ans que j'habite au Québec dont la devise
> >> inscrite sur les plaques d'immatriculation des voitures
> >> est « Je me souviens ». A propos de mémoire, de quoi la
> >> France devrait-elle se souvenir ? Quelle est porteuse
> >> des Lumières. Que des millions de femmes se nourrissent
> >> des écrits de Simone de Beauvoir dont le nom est
> >> indissociable de celui de Djamila Boupacha. C'est peu
> >> dire. Il ne fait aucun doute pour moi que la France est
> >> un grand pays et ceci vous confère des responsabilités
> >> et des devoirs envers nous tous, les petits. C'est
> >> d'ailleurs pour cela qu'aujourd'hui, tous les regards
> >> sont tournés vers votre commission et que nous attendons
> >> de vous que vous fassiez preuve de courage et de
> >> responsabilité en interdisant le port de la burqa.
> >>
> >>
> >> Pour notre part au Québec, on se souvient qu'en 1961,
> >> pour la première fois dans l'histoire, une femme, une
> >> avocate de surcroît, est élue à l'Assemblée législative
> >> lors d'une élection partielle. Son nom est Claire
> >> Kirkland et elle deviendra ministre. En invoquant un
> >> vieux règlement parlementaire qui exigeait des femmes le
> >> port du chapeau pour se présenter à l'Assemblée
> >> législative, on la force à se couvrir la tête pendant
> >> les sessions. Elle refuse. C'est le scandale. Un journal
> >> titre : « Une femme nu-tête à l'Assemblée législative !
> >> » Elle résiste et obtient gain de cause.
> >>
> >>
> >> Il faut comprendre par là que nos droits sont des acquis
> >> fragiles à défendre avec acharnement et qu'ils sont le
> >> résultat de luttes collectives pour lesquelles se sont
> >> engagés des millions de femmes et d'hommes épris de
> >> liberté et de justice. J'ose espérer, monsieur
> >> Gérin, que la commission que vous présidez tiendra
> >> compte de tous ces sacrifices et de toutes ces
> >> aspirations citoyennes à travers le monde et les siècles.
> >>
> >>
> >> A vous chers amis, s'il y a une chose, une seule, que je
> >> souhaiterais que vous reteniez de ces quelques mots,
> >> c'est la suivante. Entre une certaine gauche
> >> démissionnaire, le racisme de l'extrême droite et le
> >> laisser-faire et la complicité des gouvernements nous
> >> avons la possibilité de changer les choses, plus encore
> >> nous avons la responsabilité historique de faire avancer
> >> les droits des femmes. Nous sommes, en quelque sorte,
> >> responsables de notre avenir et de celui de nos enfants.
> >> Car il prendra la direction que nous lui donnerons.
> >> Nous, les citoyens. Nous, les peuples du monde. Par nos
> >> gestes, par nos actions et par notre mobilisation.
> >> Toutes les énergies citoyennes sont nécessaires d'un
> >> pays à l'autre au-delà des frontières. L'avenir nous
> >> appartient. La femme est l'avenir de l'homme disait
> >> Aragon. S'agissant d'homme, je veux en saluer un présent
> >> aujourd'hui, c'est mon père à qui je dois tout.
> >>
> >>
> >> Et je finirai par une citation de Simone de Beauvoir : «
> >> On a le droit de crier mais il faut que ce cri soit
> >> écouté, il faut que cela tienne debout, il faut que cela
> >> résonne chez les autres. » J'ose espérer que mon cri
> >> aura un écho parmi vous.
> >>
> >>
> >> *Djemila Benhabib*
> >>
> >>
> >> Lettre lue au Palais du Luxembourg, le vendredi 13
> >> novembre 2009, lors de la journée "Femmes debout",
> >> organisée par Femmes Solidaires et la Ligue du Droit
> >> International des Femmes
MISSION PARLEMENTAIRE SUR LE VOILE INTEGRAL
> >>
> >> Lundi 30 novembre 2009, par Djemila Benhabib, auteure de
> >>
> >> /Ma vie à contre-Coran./
> >>
> >>
> >> Mesdames les sénatrices,
> >> *Mesdames les présidentes,*
> >>
> >>
> >> *Mesdames et messieurs les dignitaires,*
> >>
> >>
> >> Chers amis,
> >>
> >>
> >> Merci mille fois de ce grand honneur que vous me faites,
> >> aujourd'hui, de me consacrer parmi les Femmes debout et
> >> de permettre à ma voix, celle d'une femme de culture
> >> musulmane féministe et laïque de résonner dans cette
> >> prestigieuse institution de la République. Merci à vous,
> >> mes amies de Femmes solidaires et de la Ligue du droit
> >> international des femmes pour votre travail acharné,
> >> permanent et indispensable que ce soit dans les
> >> quartiers, auprès des femmes victimes de violences et
> >> discriminations, des sans papiers ou encore au sein des
> >> politiques et des instances onusiennes. C'est dire que
> >> c'est ici, localement que prend racine le travail pour
> >> les droits des femmes pour se répercuter à l'échelle
> >> internationale. C'est dire aussi que la Marche des
> >> femmes pour la liberté et l'égalité est une et
> >> indivisible. Lorsqu'une femme souffre dans un quelconque
> >> endroit de la planète, c'est notre affaire à toutes et à
> >> tous. Merci de nous faire sentir de mille façons que
> >> nous sommes les maillons d'une même chaîne.
> >>
> >>
> >> Voilà encore quelques années, je n'aurais jamais imaginé
> >> que ma vie de femme, que ma vie de militante serait si
> >> intimement liée au féminisme et à la laïcité.
> >>
> >>
> >> Je vous surprendrai peut-être en vous avouant que je ne
> >> suis pas devenue féministe en tournant les pages
> >> du /Deuxième Sexe/, ni en me plongeant dans ce
> >> magnifique roman d'Aragon /Les Cloches de Bâle/, où il
> >> était question entre autres de Clara Zetkin et de Rosa
> >> Luxembourg, deux figures de proue du féminisme et de la
> >> paix dans le monde.
> >>
> >>
> >> Je ne suis pas devenue laïque en m'abreuvant de Spinoza,
> >> de Ibn Al-Arabi, de Descartes, de Ibn Khaldoun, ou de
> >> Voltaire, mon maître. Absolument pas.
> >>
> >>
> >> J'aurais pu tourner mon regard ailleurs pour me perdre
> >> dans cette enfance si heureuse que j'ai eue dans une
> >> famille généreuse, cultivée, ouverte sur le monde et sur
> >> les autres, profondément engagée pour la démocratie et
> >> la justice sociale. J'aurais pu m'égarer dans la beauté
> >> de cette ville qu'est Oran où il faisait si bon vivre au
> >> bord de la mer. Cette ville qui a propulsé la carrière
> >> littéraire d'Albert Camus, avec son célèbre roman /La
> >> peste/, jusqu'au Nobel de littérature. J'aurais pu ne
> >> rien voir, ne rien entendre des brimades, du mépris, des
> >> humiliations et des violences qu'on déversait sur les
> >> femmes. J'ai choisi de voir et d'écouter d'abord avec
> >> mes yeux et mes oreilles d'enfant. Plus tard, j'ai
> >> choisi de dire les aspirations de toutes ces femmes qui
> >> ont marqué ma vie pour que plus jamais, plus aucune
> >> femme dans le monde, n'ait honte d'être femme.
> >>
> >>
> >> Pour vous dire vrai, à l'enfance et surtout à
> >> l'adolescence, je n'ai jamais rêvé de mariage, de prince
> >> charmant, de robe longue, de grande maison, d'enfants et
> >> de famille. Les quelques mariages auxquels j'avais
> >> assisté, en Algérie, me faisaient sentir que la femme
> >> était un objet bien plus qu'un sujet. Inutile de vous
> >> préciser que ma perspective était ultraminoritaire, car
> >> les femmes sont formatées à devenir des épouses puis des
> >> mères dès l'enfance. Je devais avoir, quoi, cinq, six,
> >> peut-être sept ans tout au plus, lorsqu'on me somma de
> >> rejoindre ma grand-mère dans la cuisine, car ma place
> >> naturelle était à mi-distance entre les fourneaux et la
> >> buanderie, de façon à pouvoir faire éclater mes talents
> >> de cuisinière et de ménagère le moment venu.
> >>
> >>
> >> En 1984, l'Algérie adopte un code de la famille inspiré
> >> de la charia islamique. J'ai 12 ans à cette époque.
> >> Brièvement, ce code exige de l'épouse d'obéir à son mari
> >> et à ses beaux-parents, permet la répudiation, la
> >> polygamie, destitue la femme de son autorité parentale,
> >> permet à l'époux de corriger sa femme et en matière
> >> d'héritage comme de témoignage, l'inégalité est érigée
> >> en système puisque la voix de deux femmes équivaut à
> >> celle d'un homme tout comme les parts d'héritage.
> >>
> >>
> >> Question : L'Algérie est-elle devenue musulmane en 1984 ?
> >>
> >>
> >> Réponse : Je vous la donnerai pendant le débat tout à
> >> l'heure si vous le souhaitez.
> >>
> >>
> >> Pour ce qui est de la laïcité, j'ai compris sa nécessité
> >> lorsque, au tout début des années 1990, le Front
> >> islamique du salut (FIS) a mis à genoux mon pays
> >> l'Algérie par le feu et par le sang en assassinant des
> >> milliers d'Algériens. Aujourd'hui, on est forcé de
> >> constater que les choses n'ont pas tellement changé.
> >>
> >>
> >> Trop de femmes dans le monde se font encore humilier,
> >> battre, violenter, répudier, assassiner, brûler,
> >> fouetter et lapider. Au nom de quoi ? De la religion, de
> >> l'islam en l'occurrence et de son instrumentalisation.
> >> Pour refuser un mariage arrangé, le port du voile
> >> islamique ou encore pour avoir demandé le divorce, porté
> >> un pantalon, conduit une voiture et même avoir franchi
> >> le seuil de la porte sans la permission du mâle, des
> >> femmes, tant de femmes subissent la barbarie dans leur
> >> chair. Je pense en particulier à nos sours iraniennes
> >> qui ont défilé dans les rues de Téhéran pour faire
> >> trembler l'un des pires dictateurs au monde :
> >> Ahmadinejad. Je pense à *Neda*, cette jeune Iranienne
> >> assassinée à l'âge de 26 ans. Nous avons tous vu cette
> >> image de Neda gisant sur le sol, le sang dégoulinant de
> >> sa bouche. Je pense à *Nojoud Ali*, cette petite
> >> Yéménite de 10 ans, qui a été mariée de force à un homme
> >> qui a trois fois son âge et qui s'est battue pour
> >> obtenir le droit de divorcer. et qui l'a obtenu. Je
> >> pense à*Loubna Al-Hussein* qui a fait trembler le
> >> gouvernement de Khartoum l'été dernier à cause de sa
> >> tenue vestimentaire.
> >>
> >>
> >> La pire condition féminine dans le globe, c'est celle
> >> que vivent les femmes dans les pays musulmans. C'est un
> >> fait et nous devons le reconnaître. C'est cela notre
> >> première solidarité à l'égard de toutes celles qui
> >> défient les pires régimes tyranniques au monde. Qui
> >> oserait dire le contraire ? Qui oserait prétendre
> >> l'inverse ? Les islamistes et leurs complices ?
> >> Certainement.mais pas seulement.
> >>
> >>
> >> *Il y a aussi ce courant de pensée relativiste qui
> >> prétend qu'au nom des cultures et des traditions nous
> >> devons accepter la régression, qui confine l'autre dans
> >> un statut de victime perpétuelle et nous culpabilise
> >> pour nos choix de société en nous traitant de racistes
> >> et d'islamophobes lorsque nous défendons l'égalité des
> >> sexes et la laïcité. C'est cette même gauche qui ouvre
> >> les bras à Tarik Ramadan pour se pavaner de ville en
> >> ville, de plateau de TV en plateau de TV et cracher sur
> >> les valeurs de la République.*
> >>
> >>
> >> Sachez qu'il n'y a rien dans ma culture qui me
> >> prédestine à être éclipsée sous un linceul, emblème
> >> ostentatoire de différence. Rien qui me prédétermine à
> >> accepter le triomphe de l'idiot, du sot et du lâche,
> >> surtout si on érige le médiocre en juge. Rien qui
> >> prépare mon sexe à être charcuté sans que ma chair en
> >> suffoque. Rien qui me prédestine à apprivoiser le fouet
> >> ou l'aiguillon. Rien qui me voue à répudier la beauté et
> >> le plaisir. Rien qui me prédispose à recevoir la
> >> froideur de la lame rouillée sur ma gorge. Et si c'était
> >> le cas, je renierais sans remords ni regret le ventre de
> >> ma mère, la caresse de mon père et le soleil qui m'a vu
> >> grandir.
> >>
> >>
> >> L'islamisme politique n'est pas l'expression d'une
> >> spécificité culturelle, comme on prétend ça et là. C'est
> >> une affaire politique, une menace collective qui
> >> s'attaque au fondement même de la démocratie en faisant
> >> la promotion d'une idéologie violente, sexiste,
> >> misogyne, raciste et homophobe.
> >>
> >>
> >> Nous avons vu de quelle façon les mouvements islamistes,
> >> avec la complicité, la lâcheté et le soutien de certains
> >> courants de gauche cautionnent la régression profonde
> >> qui s'est installée au cour même de nos villes. Au
> >> Canada, nous avons tout de même failli avoir les
> >> tribunaux islamiques. En Grande-Bretagne c'est déjà la
> >> norme dans plusieurs communautés. D'un bout à l'autre de
> >> la planète, le port du voile islamique se répand et se
> >> banalise, il devient même une alternative acceptable aux
> >> yeux de certains car c'est tout de même mieux que la burqa
> >> !
> >>
> >>
> >> Que dire de la démission des démocraties occidentales
> >> sur des enjeux primordiaux à la base du vivre-ensemble
> >> et de la citoyenneté tels que la défense de l'école
> >> publique, des services publics et de la neutralité de
> >> l'État ?
> >>
> >>
> >> Que dire des reculs en matière d'accessibilité à
> >> l'avortement ici même en France ?
> >>
> >>
> >> Tout ça pour dire qu'il est toujours possible de faire
> >> avancer les sociétés grâce à notre courage, notre
> >> détermination et à notre audace. Je ne vous dis pas que
> >> ce sont là des choix faciles. Loin de là. Les chemins de
> >> la liberté sont toujours des chemins escarpés. Ce sont
> >> les seuls chemins de l'émancipation humaine, je n'en
> >> connais pas d'autres.
> >>
> >>
> >> Cette merveilleuse page d'histoire, de NOTRE histoire,
> >> nous enseigne que subir n'est pas se soumettre. Car
> >> par-delà les injustices et les humiliations, il y a
> >> aussi les résistances. Résister, c'est se donner le
> >> droit de choisir sa destinée. C'est cela pour moi le
> >> féminisme. Une destinée non pas individuelle, mais
> >> collective pour la dignité de TOUTES les femmes. C'est
> >> ainsi que j'ai donné un sens à ma vie en liant mon
> >> destin de femme à tous ceux qui rêvent d'égalité et de
> >> laïcité comme fondement même de la démocratie.
> >> L'histoire regorge d'exemples de religions qui débordent
> >> de la sphère privée pour envahir la sphère publique et
> >> devenir la loi. Dans ce contexte, les femmes sont les
> >> premières perdantes. Pas seulement. La vie, dans ses
> >> multiples dimensions, devient soudainement sclérosée
> >> lorsque la loi de Dieu se mêle à la loi des hommes pour
> >> organiser les moindres faits et gestes de tous. Il n'y a
> >> plus de place pour les avancées scientifiques, la
> >> littérature, le théâtre, la musique, la danse, la
> >> peinture, le cinéma, bref la vie tout simplement. Seuls
> >> la régression et les interdits se multiplient. C'est
> >> d'ailleurs pour ça que j'ai une aversion profonde à
> >> l'égard des intégrismes quels qu'ils soient, car je suis
> >> une amoureuse de la vie.
> >>
> >>
> >> Rappelez-vous une chose : lorsque la religion régit la
> >> vie de la cité, nous ne sommes plus dans l'espace du
> >> possible, nous ne sommes plus dans le référentiel des
> >> doutes, nous ne sommes plus dans le repère de la Raison
> >> et de la rationalité si chères aux Lumières. Séparer
> >> l'espace public de l'espace privé en réaffirmant la
> >> neutralité de l'État me semble indispensable, car seule
> >> la laïcité permet de se doter d'un espace commun,
> >> appelons-le un référentiel citoyen, loin de toutes
> >> croyances et de toutes les incroyances, pour prendre en
> >> main la destinée de la cité. Avant de conclure,
> >> permettez-moi de partager avec vous une lettre destinée
> >> à l'un de vos élus.
> >>
> >>
> >> J'ai longuement hésité avant de vous écrire. Peut-être,
> >> par peur d'être perçue comme celle venue d'ailleurs qui
> >> fait indélicatement irruption dans les « affaires
> >> françaises ». Au diable les convenances, je n'ai jamais
> >> été douée pour la bienséance surtout lorsqu'elle est au
> >> service des plus forts, des plus puissants et des plus
> >> arrogants. Puis, s'il avait fallu que je vive en
> >> fonction du regard des autres, je n'aurais rien fait de
> >> ma vie ou si peu. Lorsqu'il s'agit des droits des
> >> femmes, nulle convenance ne doit primer sur l'essentiel.
> >> L'essentiel étant : la liberté, l'égalité et
> >> l'émancipation des femmes. J'entends encore des copines
> >> françaises me dirent avec insistance : parle-lui,
> >> dis-lui, écris-lui. Étrangement, leurs propos me
> >> rappellent le titre de ce magnifique film
> >> d'Almodovar /Parle avec elle/ où dès les premiers
> >> instants, le rideau se lève furtivement, pendant
> >> quelques secondes, sur un spectacle de danse, mettant en
> >> scène le corps d'une femme, celui de Pina Bausch. Elle
> >> qui exprimait si bien dans ses chorégraphies crûment la
> >> violence exercée à l'encontre des femmes.
> >>
> >>
> >> Monsieur Gérin, c'est à vous que je m'adresse, je
> >> voudrais vous parler, vous dire la peur que j'ai connu
> >> le 25 mars 1994 alors que j'habitais à Oran, en Algérie
> >> et que le Groupe islamique armé (GIA) avait ordonné aux
> >> femmes de mon pays le port du voile islamique. Ce
> >> jour-là, j'ai marché la tête nue ainsi que des millions
> >> d'autres Algériennes. Nous avons défié la mort. Nous
> >> avons joué à cache-cache avec les sanguinaires du GIA et
> >> le souvenir de Katia Bengana, une jeune lycéenne âgée de
> >> 17 ans assassinée le 28 février 1994 à la sortie de son
> >> lycée planait sur nos têtes nues. Il y a des événements
> >> fondateurs dans une vie et qui donnent une direction
> >> particulière au destin de tout un chacun. Celui-là, en
> >> est un pour moi. Depuis ce jour-là, j'ai une aversion
> >> profonde pour tout ce qui est hidjab, voile, burqa,
> >> niqab, tchador, jilbab, khimar et compagnie. Or,
> >> aujourd'hui vous êtes à la tête d'une commission
> >> parlementaire chargée de se pencher sur le port du voile
> >> intégral en France.
> >>
> >>
> >> En mars dernier, je publiais au Québec, un livre
> >> intitulé /Ma vie à contre-Coran/ : une femme témoigne
> >> sur les islamistes. Dès les premières phrases, je
> >> donnais le ton de ce qu'est devenue ma vie en termes
> >> d'engagements politiques en écrivant ceci : « J'ai vécu
> >> les prémisses d'une dictature islamiste. C'était au
> >> début des années 1990. Je n'avais pas encore 18 ans.
> >> J'étais coupable d'être femme, féministe et laïque. » Je
> >> dois vous avouer que je ne suis pas féministe et laïque
> >> par vocation, je le suis par nécessité, par la force des
> >> choses, par ces souffrances qui imprègnent mon corps car
> >> je ne peux me résoudre à voir l'islamisme politique
> >> gagner du terrain ici même et partout dans le monde. Je
> >> suis devenue féministe et laïque à force de voir autour
> >> de moi des femmes souffrir en silence derrière des
> >> portes closes pour cacher leur sexe et leur douleur,
> >> pour étouffer leurs désirs et taire leurs rêves.
> >>
> >>
> >> Il fut un temps où on s'interrogeait en France sur le
> >> port du voile islamique à l'école. Aujourd'hui, il est
> >> question de voile intégral. Au lieu d'élargir la portée
> >> de la loi de 2004 aux établissements universitaires,
> >> nous débattons sur la possibilité de laisser déambuler
> >> dans nos rues des cercueils. Est-ce normal ? Demain,
> >> peut-être c'est la polygamie qui sera à l'ordre du jour.
> >> Ne riez pas. Cela s'est produit au Canada et il a fallu
> >> que les cours (de justice) s'en mêlent. Car après tout
> >> la culture à bon dos lorsqu'il s'agit d'opprimer les
> >> femmes. Ironie du sort, j'ai constaté dans plusieurs
> >> quartiers que les jupes se rallongent et disparaissent
> >> peu à peu. La palette des couleurs se réduit. Il est
> >> devenu banal de camoufler son corps derrière un voile et
> >> porter une jupe, un acte de résistance. C'est tout de
> >> même une banlieue française qui est le théâtre du
> >> film /La Journée de la jupe./ Alors que dans les rues de
> >> Téhéran et de Khartoum, les femmes se découvrent de plus
> >> en plus, au péril de leur vie, dans les territoires
> >> perdus de la République française, le voile est devenu
> >> la norme. Que se passe-t-il ? La France est-elle devenue
> >> malade ?
> >>
> >>
> >> Le voile islamique est souvent présenté comme faisant
> >> partie de « l'identité collective musulmane ». Or, il
> >> n'en est rien. Il est l'emblème de l'intégrisme musulman
> >> partout dans le monde. S'il a une connotation
> >> particulière, elle est plutôt politique surtout avec
> >> l'avènement de la révolution islamique en Iran en 1979.
> >> Que l'on ne s'y trompe pas, le voile islamique cache la
> >> peur des femmes, de leur corps, de leur liberté et de
> >> leur sexualité.
> >>
> >>
> >> Pire encore, la perversion est poussée à son paroxysme
> >> en voilant des enfants de moins de cinq ans. Il y a
> >> quelques temps, j'essayais de me rappeler à quel moment
> >> précisément, en Algérie, j'ai vu apparaître ce voile
> >> dans les salles de classe. Pendant mon enfance et
> >> jusqu'à mon entrée au lycée, c'est-à-dire en 1987, le
> >> port du voile islamique était marginal autour de moi. À
> >> l'école primaire, personne ne portait le hidjab, ni
> >> parmi les enseignants, ni surtout parmi les élèves.
> >>
> >>
> >> Voilà 12 ans que j'habite au Québec dont la devise
> >> inscrite sur les plaques d'immatriculation des voitures
> >> est « Je me souviens ». A propos de mémoire, de quoi la
> >> France devrait-elle se souvenir ? Quelle est porteuse
> >> des Lumières. Que des millions de femmes se nourrissent
> >> des écrits de Simone de Beauvoir dont le nom est
> >> indissociable de celui de Djamila Boupacha. C'est peu
> >> dire. Il ne fait aucun doute pour moi que la France est
> >> un grand pays et ceci vous confère des responsabilités
> >> et des devoirs envers nous tous, les petits. C'est
> >> d'ailleurs pour cela qu'aujourd'hui, tous les regards
> >> sont tournés vers votre commission et que nous attendons
> >> de vous que vous fassiez preuve de courage et de
> >> responsabilité en interdisant le port de la burqa.
> >>
> >>
> >> Pour notre part au Québec, on se souvient qu'en 1961,
> >> pour la première fois dans l'histoire, une femme, une
> >> avocate de surcroît, est élue à l'Assemblée législative
> >> lors d'une élection partielle. Son nom est Claire
> >> Kirkland et elle deviendra ministre. En invoquant un
> >> vieux règlement parlementaire qui exigeait des femmes le
> >> port du chapeau pour se présenter à l'Assemblée
> >> législative, on la force à se couvrir la tête pendant
> >> les sessions. Elle refuse. C'est le scandale. Un journal
> >> titre : « Une femme nu-tête à l'Assemblée législative !
> >> » Elle résiste et obtient gain de cause.
> >>
> >>
> >> Il faut comprendre par là que nos droits sont des acquis
> >> fragiles à défendre avec acharnement et qu'ils sont le
> >> résultat de luttes collectives pour lesquelles se sont
> >> engagés des millions de femmes et d'hommes épris de
> >> liberté et de justice. J'ose espérer, monsieur
> >> Gérin, que la commission que vous présidez tiendra
> >> compte de tous ces sacrifices et de toutes ces
> >> aspirations citoyennes à travers le monde et les siècles.
> >>
> >>
> >> A vous chers amis, s'il y a une chose, une seule, que je
> >> souhaiterais que vous reteniez de ces quelques mots,
> >> c'est la suivante. Entre une certaine gauche
> >> démissionnaire, le racisme de l'extrême droite et le
> >> laisser-faire et la complicité des gouvernements nous
> >> avons la possibilité de changer les choses, plus encore
> >> nous avons la responsabilité historique de faire avancer
> >> les droits des femmes. Nous sommes, en quelque sorte,
> >> responsables de notre avenir et de celui de nos enfants.
> >> Car il prendra la direction que nous lui donnerons.
> >> Nous, les citoyens. Nous, les peuples du monde. Par nos
> >> gestes, par nos actions et par notre mobilisation.
> >> Toutes les énergies citoyennes sont nécessaires d'un
> >> pays à l'autre au-delà des frontières. L'avenir nous
> >> appartient. La femme est l'avenir de l'homme disait
> >> Aragon. S'agissant d'homme, je veux en saluer un présent
> >> aujourd'hui, c'est mon père à qui je dois tout.
> >>
> >>
> >> Et je finirai par une citation de Simone de Beauvoir : «
> >> On a le droit de crier mais il faut que ce cri soit
> >> écouté, il faut que cela tienne debout, il faut que cela
> >> résonne chez les autres. » J'ose espérer que mon cri
> >> aura un écho parmi vous.
> >>
> >>
> >> *Djemila Benhabib*
> >>